Les petites filles modèles chapitres de 6 à 10
Conte de Noël
Un jour, Marguerite, Camille et Madeleine jouaient devant la maison avec le chien du garde, Calino, qui était couché près d’elles.
Marguerite cherchait à lui mettre au cou une couronne de pâquerettes que Camille venait de terminer. Chaque fois que la couronne était à moitié passée, le chien secouait la tête, la couronne tombait, et Marguerite le grondait.
– Méchant Calino, veux-tu te tenir tranquille ! si tu recommences, je te donnerai une tape.
Un chien jaune, qui s’était approché sans bruit, donna un coup de dent à Calino. Marguerite voulut le chasser : le chien jaune se jeta sur elle et lui mordit la main ; puis il continua son chemin. Voyant du sang à sa main, Marguerite pleura.
Camille et Madeleine s’étaient levées précipitamment au cri de Marguerite. Camille suivit des yeux le chien jaune ; elle dit quelques mots tout bas à Madeleine, puis courut chez Mme de Fleurville.
– Maman, lui dit-elle tout bas, Marguerite a été mordue par un chien enragé.
– Comment sais-tu que le chien est enragé ?
– Je l’ai bien vu, maman, à sa queue traînante, à sa tête basse, à sa langue pendante, à sa démarche trottinante ; et puis il a mordu Calino et Marguerite sans aboiement, sans bruit ; et Calino, au lieu de se défendre ou de crier, s’est étendu à terre sans bouger.
– Tu as raison, Camille ! Quel malheur, mon Dieu ! Lavons bien vite les morsures de Marguerite dans l’eau fraîche, ensuite dans l’eau salée.
– Madeleine l’a menée dans la cuisine, maman. Mme de Fleurville regarda la morsure et vit un petit trou peu profond qui ne saignait plus.
– Vite, Rosalie (c’était la cuisinière), un seau d’eau fraîche ! Mets-y une forte poignée de sel, Camille…, bien… Trempe ta main dans l’eau salée, chère Marguerite.
– J’ai peur que le sel ne me pique, dit Marguerite en pleurant.
– Non, n’aie pas peur : ce ne sera pas grand-chose. Mais, quand même cela te piquerait, il faut te tremper la main, sans quoi tu serais très malade.
Mme de Fleurville l’embrassa et lui dit :
– Tous les jours, matin et soir, tu tremperas ta main dans l’eau salée pendant un quart d’heure ; tous les jours tu mangeras deux fortes pincées de sel et une petite gousse d’ail. Dans huit jours ce sera fini.
– Maman, dit Camille, n’en parlons pas à Mme de Rosbourg, elle serait trop inquiète.
– Tu as raison, chère enfant, dit Mme de Fleurville en l’embrassant. Nous le lui raconterons dans un mois.
Au bout de trois jours, la petite main de Marguerite était guérie.
Après un mois, quand tout danger fut passé, Marguerite dit un jour à sa maman :
– Maman, chère maman, vous ne savez pas que votre pauvre Marguerite a manqué mourir.
– Mourir, mon amour ! dit la maman en riant. Tu n’as pas l’air bien malade.
– Tenez, maman, regardez ma main. Voyez-vous cette toute petite tache rouge ? C’est un chien enragé qui m’a mordue.
Mme de Rosbourg poussa un cri étouffé et pâlit :
– Qui t’a dit que le chien était enragé ?
– Mme de Fleurville m’a recommandé de faire bien exactement ce qu’elle avait dit, sans quoi je deviendrais enragée et je mourrais. Elle m’a défendu de vous en parler avant un mois, chère maman, pour ne pas vous faire peur.
Mme de Rosbourg embrassa Marguerite avec une vive émotion, et courut chercher Mme de Fleurville pour avoir des renseignements plus précis.
– Marguerite ne court plus aucun danger, chère amie, soyez-en sûre ; l’eau est le remède infaillible pour les morsures des bêtes enragées ; l’eau salée est bien meilleure encore. Soyez bien certaine qu’elle est sauvée.
Mme de Rosbourg embrassa tendrement Mme de Fleurville. Elle se promit tout bas de lui témoigner sa reconnaissance à la première occasion.
7 – Camille punie
Il y avait à une lieue du château de Fleurville une petite fille âgée de six ans, qui s’appelait Sophie. A quatre ans, elle avait perdu sa mère dans un naufrage ; son père se remaria et mourut aussi peu de temps après. Sophie resta avec sa belle-mère, Mme Fichini. Mme Fichini et Sophie venaient quelquefois chez Mme de Fleurville.
Un jour que les petites soeurs et Marguerite sortaient pour aller se promener, une brillante calèche s’arrêta devant le perron du château ; Mme Fichini et Sophie en descendirent.
– Bonjour Sophie, dirent Camille et Madeleine ; nous sommes bien contentes de te voir ; bonjour madame, ajoutèrent-elles en faisant une petite révérence.
– Bonjour, mes petites ; je vais au salon voir votre maman. Sophie vous accompagnera. Et vous, mademoiselle, ajouta-t-elle en s’adressant à Sophie d’une voix dure et d’un air sévère, soyez sage, sans quoi vous aurez le fouet au retour.
Sophie baissa les yeux.
– Vous n’avez pas de langue pour répondre, petite impertinente ?
– Oui, maman, s’empressa de répondre Sophie.
Mme Fichini lui tourna le dos et entra au salon. Camille et Madeleine étaient restées stupéfaites.
CAMILLE. – Pourquoi ta belle-mère t’a-t-elle grondée, Sophie ? Qu’est-ce que tu as fait ?
SOPHIE. – Rien du tout. Elle est toujours comme cela.
MADELEINE. – Allons dans notre jardin où nous serons bien tranquilles.
SOPHIE, apercevant Marguerite. – Ah ! qu’est-ce que c’est que cette petite ? Je ne l’ai pas encore vue.
CAMILLE. – C’est notre petite amie, et une bonne petite fille. J’espère, Sophie, que tu l’aimeras. Elle s’appelle Marguerite.
Madeleine raconta à Sophie comment elles avaient fait connaissance avec Mme de Rosbourg. Sophie embrassa Marguerite, et toutes quatre coururent au jardin.
SOPHIE. – Les belles fleurs ! Mais elles sont bien plus belles que les miennes ! Où avez-vous eu ces magnifiques oeillets, ces beaux géraniums et ces charmants rosiers ? Quelle délicieuse odeur !
MADELEINE. – C’est Mme de Rosbourg qui nous a donné tout cela.
MARGUERITE. – Prenez garde, Sophie ; vous écrasez un beau fraisier ; reculez-vous.
SOPHIE. – Laissez-moi donc. Je veux sentir les roses.
MARGUERITE. – Mais vous écrasez les fraises de Camille. Il ne faut pas écraser les fraises de Camille.
SOPHIE. – Et moi, je te dis de me laisser tranquille, petite sotte.
Et comme Marguerite cherchait à préserver les fraises en tenant la jambe de Sophie, celle-ci la poussa avec tant de colère et si rudement, que la pauvre Marguerite alla rouler à trois pas de là. Aussitôt Camille s’élança sur Sophie et lui appliqua un vigoureux soufflet. Sophie se mit à crier. Camille était toute rouge et toute honteuse. Au même instant parurent Mme de Fleurville, Mme de Rosbourg et Mme Fichini.
Mme Fichini commença par donner un bon soufflet à Sophie, qui criait.
SOPHIE, criant. – Cela m’en fait deux ; cela m’en fait deux !
MADAME FICHINI. – Deux quoi, petite sotte ?
SOPHIE. – Deux soufflets qu’on m’a donnés.
MADAME FICHINI, lui donnant encore un soufflet. – Tiens, voilà le second pour ne pas te faire mentir.
CAMILLE. – Elle ne mentait pas, madame ; c’est moi qui lui ai donné le premier.
Mme Fichini regarda Camille avec surprise.
MADAME DE FLEURVILLE. – Que dis-tu, Camille ? Toi, si bonne, tu as donné un soufflet à Sophie, qui vient en visite chez toi ?
CAMILLE, les yeux baissés. – Oui, maman.
MADAME DE FLEURVILLE, avec sévérité. Et pourquoi ?
CAMILLE, avec hésitation. – Parce que Sophie écrasait mes fraises.
MARGUERITE, avec feu. – Non, ce n’est pas cela, c’est pour me…
CAMILLE, lui mettant la main sur la bouche, avec vivacité. – Si fait, si fait ; c’est pour mes fraises. (Tout bas à Marguerite) Tais-toi, je t’en prie.
MARGUERITE, tout bas. – Je ne veux pas qu’on te croie méchante, quand c’est pour me défendre que tu t’es mise en colère.
CAMILLE. – Je t’en supplie, ma petite Marguerite, tais-toi jusqu’après le départ de Mme Fichini.
Mme de Fleurville voyait bien qu’il s’était passé quelque chose qu’on ne voulait pas raconter, par égard pour Sophie. Elle dit à Camille d’un air mécontent :
– Montez dans votre chambre, mademoiselle.
Camille fondit en larmes et s’approcha de Sophie :
– Pardonne-moi, Sophie ; je ne recommencerai pas, je te le promets.
Sophie lui dit tout bas :
– Merci, ma bonne Camille, de n’avoir pas dit que j’avais poussé Marguerite ; ma belle-mère m’aurait fouettée jusqu’au sang.
Camille lui serra la main et se dirigea en pleurant vers la maison.
Mme Fichini remonta en voiture avec Sophie, qu’on entendit crier quelques instants après ; on supposa que sa belle-mère la battait.
A peine furent-elles parties, que Madeleine et Marguerite racontèrent à Mme de Fleurville pourquoi Camille s’était emportée contre Sophie.
Cette explication diminue beaucoup sa faute, mes enfants, mais elle a été coupable de s’être laissée aller à une pareille colère. Je lui permets de sortir de sa chambre, pourtant elle n’aura ni dessert ni plat sucré.
Madeleine et Marguerite coururent chercher Camille. Celle-ci soupira et resta bien triste.
Camille était un peu gourmande. Elle savait que justement ce jour-là on devait servir d’excellentes pêches et du raisin que son oncle avait envoyés de Paris. Quelle privation de ne pas goûter cet excellent dessert !
MADELEINE. – Ma chère Camille, je ne mangerai pas de fruits non plus, ni de plat sucré cela te consolera un peu.
CAMILLE. – Non, ma chère Madeleine, je ne veux pas que tu te prives pour moi ; tu en mangeras, je t’en prie.
MADELEINE. – Non, non, Camille, j’y suis décidée. Je n’aurais aucun plaisir à manger de bonnes choses dont tu serais privée.
Camille se jeta dans les bras de Madeleine. Madeleine demanda à Camille de n’en parler à personne.
Si maman le savait, dit-elle, ou bien elle me forcerait à en manger, ou bien j’aurais l’air de vouloir la forcer à te pardonner.
Camille lui promit de n’en pas parler pendant le dîner ; mais elle résolut de raconter ensuite la généreuse privation que s’était imposée sa bonne petite soeur.
L’heure du dîner vint ; les enfants étaient tristes toutes les trois. Le plat sucré se trouva être des croquettes de riz, que Madeleine aimait extrêmement.
MADAME DE FLEURVILLE. – Madeleine, donne-moi ton assiette, que je te serve des croquettes.
MADELEINE. – Merci, maman, je n’en mangerai pas.
MADAME DE FLEURVILLE. – Comment ! tu n’en mangeras pas, toi qui les aimes tant ?
MADELEINE, embarrassée et rougissante. Je n’ai plus faim, maman.
Mme de Fleurville regarda d’un air surpris Madeleine. Se doutant qu’on lui cachait quelque chose, elle n’insista plus.
Le dessert arriva ; on apporta une superbe corbeille de pêches et une corbeille de raisin ; les yeux de Camille se remplirent de larmes.
– Veux-tu commencer par le raisin ou par une pêche, Madeleine ? demanda Mme de Fleurville.
– Merci, maman, je ne mangerai pas de dessert.
– Mange au moins une grappe de raisin, dit Mme de Fleurville de plus en plus surprise ; il est excellent.
– Non, maman, répondit Madeleine qui se sentait faiblir à la vue de ces beaux fruits dont elle respirait le parfum ; je suis fatiguée, je voudrais me coucher.
– Tu n’es pas souffrante, chère petite ?
– Non, maman, je me porte très bien ; seulement je voudrais me coucher.
Et Madeleine, se levant, alla dire adieu à sa maman et à Mme de Rosbourg ; elle allait embrasser Camille, quand celle-ci demanda la permission de suivre Madeleine. Mme de Fleurville le lui permit. Les deux soeurs partirent ensemble. Cinq minutes après, tout le monde sortit de table ; on trouva dans le salon Camille et Madeleine s’embrassant. Madeleine monta se coucher.
Camille était restée au milieu du salon.
Cette bonne Madeleine ! comme je l’aime ! comme elle est bonne !
– Dis-moi donc, Camille, demanda Mme de Fleurville, ce qui passe par la tête de Madeleine. Elle refuse le plat sucré, elle refuse le dessert, et elle va se coucher une heure plus tôt qu’à l’ordinaire.
– Madeleine a fait tout cela pour me consoler, pour être privée comme moi ; et elle est allée se coucher parce qu’elle avait peur de ne pouvoir résister au raisin qu’elle aime tant !
– Viens la voir avec moi, Camille ; allons l’embrasser ! s’écria Mme de Fleurville.
Avant de quitter le salon, elle alla dire quelques mots à l’oreille de Mme de Rosbourg, qui passa immédiatement dans la salle à manger.
Mme de Fleurville et Camille montèrent chez Madeleine. Mme de Fleurville la serra tendrement et lui dit :
– Ma chère petite, ta générosité a racheté la faute de ta soeur ; vous allez toutes deux manger des croquettes, du raisin et des pêches que j’ai fait apporter.
Au même moment, Elisa la bonne entra, apportant des croquettes de riz sur une assiette, du raisin et des pêches sur une autre. Camille raconta à Elisa combien Madeleine avait été bonne ; toutes deux donnèrent à Elisa une part de leur dessert, et après avoir causé, toutes deux s’endormirent.
8 – Les hérissons
Un jour, Camille et Madeleine lisaient hors de la maison, assises sur leurs petits pliants, lorsqu’elles virent accourir Marguerite.
– Camille, Madeleine, leur cria-t-elle, venez vite voir des hérissons qu’on a attrapés ; il y en a quatre, la mère et les trois petits.
Camille et Madeleine se levèrent promptement et coururent voir les hérissons, qu’on avait mis dans un panier.
CAMILLE. – Mais on ne voit rien que des boules piquantes ; ils n’ont ni tête ni pattes.
MADELEINE. – Je crois qu’ils se sont roulés en boule, et que leurs têtes et leurs pattes sont cachées.
CAMILLE. – Nous allons bien voir ; je vais les faire sortir du panier.
MADELEINE. – Mais ils te piqueront ! comment les prendras-tu ?
CAMILLE. – Tu vas voir.
Camille prit le panier et renversa les hérissons par terre. Au bout de quelques secondes, la mère appela ses petits et se mit à trottiner pour se sauver.
– Les hérissons se sauvent ! s’écria Marguerite.
Au même moment le garde accourut.
– Eh ! eh ! dit-il, je vais avoir du mal à les rattraper.
Et le garde courut après les hérissons, qui allaient presque aussi vite que lui ; déjà ils avaient gagné la lisière du bois. Une détonation se fit entendre. La mère roula morte à l’entrée du chêne creux ; les petits, voyant leur mère arrêtée, s’arrêtèrent également.
Le garde jeta les petits dans son carnier.
Camille, Madeleine et Marguerite accoururent.
– Pourquoi avez-vous tué cette pauvre mère, méchant Nicaise ? dit Camille avec indignation.
MADELEINE. – Les pauvres petits vont mourir de faim à présent.
NICAISE. – Pour cela non, mademoiselle ; je vais les tuer.
MARGUERITE, joignant les mains. – Oh ! pauvres petits ! ne les tuez pas, je vous en prie, Nicaise.
NICAISE. – Ah ! il faut bien les faire mourir, mademoiselle ; c’est mauvais le hérisson ; ça détruit les petits lapins, les petits perdreaux. D’ailleurs, ils sont trop jeunes ; ils ne vivraient pas sans leur mère.
CAMILLE. – Viens, Madeleine ; viens, Marguerite ; allons demander à maman de sauver ces malheureuses petites bêtes.
Toutes trois coururent au salon, où travaillaient Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg.
LES TROIS PETITES ENSEMBLE. – Maman, maman, madame, les pauvres hérissons !
MADAME DE ROSBOURG. – Vous parlez toutes trois à la fois, mes chères enfants ; nous ne comprenons pas ce que vous demandez.
MADELEINE. – C’est Nicaise qui a tué une mère hérisson ; il y a trois petits, il veut les tuer aussi ; il dit que les hérissons sont mauvais.
CAMILLE. – Et je crois qu’il ment.
MADAME DE FLEURVILLE. – Et pourquoi mentirait-il, Camille ?
CAMILLE. – Parce qu’il veut tuer ces pauvres petits, maman.
MADAME DE FLEURVILLE. – Tu le crois donc bien méchant ?
CAMILLE. – C’est vrai, maman, j’ai tort ; mais si vous pouviez sauver ces petits hérissons ! Ils sont si gentils !
MADAME DE FLEURVILLE, souriant. Des hérissons gentils ? C’est une rareté. Mais, chère amie, nous pourrions aller voir ce qu’il en est.
Ces dames et les trois petites filles sortirent et se dirigèrent vers le bois où on avait laissé le garde et les hérissons. Tout avait disparu.
CAMILLE. – 0 mon Dieu ! ces pauvres hérissons ! je suis sûre que Nicaise les a tués.
MADAME DE FLEURVILLE. – Nous allons voir cela ; allons jusque chez lui.
Les trois petites filles coururent en avant. Elles se précipitèrent avec impétuosité dans la maison du garde.
LES TROIS PETITES ENSEMBLE. – Où sont les hérissons ? Où les avez-vous mis, Nicaise ?
– Je les ai jetés à l’eau, mesdemoiselles ; ils sont dans la mare du potager.
LES TROIS PETITES ENSEMBLE. – Comme c’est méchant ! comme c’est vilain ! Maman, maman, Nicaise a jeté les petits hérissons dans la mare.
MADAME DE FLEURVILLE. – Vous avez eu tort de ne pas attendre, Nicaise ; mes petites désiraient garder ces hérissons.
NICAISE. – Pas possible, madame ; ils auraient péri dans deux jours : ils étaient trop petits. D’ailleurs c’est une méchante race.
Mme de Fleurville se retourna vers les petites, muettes et consternées.
– Que faire, mes chères petites, sinon oublier ces hérissons ? Nicaise a cru bien faire en les tuant ; et, en vérité, qu’en auriez-vous fait? Comment les nourrir, les soigner ?
Mme de Fleurville avait raison, mais les petites revinrent à la maison un peu abattues.
Elles allaient reprendre leurs leçons, lorsque Sophie arriva sur un âne avec sa bonne.
Mme Fichini faisait dire qu’elle viendrait dîner.
SOPHIE. – Bonjour, mes bonnes amies ; bonjour, Marguerite ! Eh bien, Marguerite, tu t’éloignes ?
MARGUERITE. – Vous avez fait punir l’autre jour ma chère Camille.
CAMILLE. – Ecoute, Marguerite, je le méritais.
MARGUERITE, l’embrassant tendrement. C’est pour moi, ma chère Camille, que tu t’es mise en colère. Tu es toujours si bonne.
Sophie s’approcha de Camille et lui dit, les larmes aux yeux :
– Camille, ma bonne Camille, Marguerite a raison. Tu as bien fait de me donner un soufflet ; je l’ai mérité, bien mérité. Et toi aussi, ma bonne petite Marguerite, pardonne-moi ; sois généreuse comme Camille. Je sais que je suis méchante ; mais, ajouta-t-elle en fondant en larmes, je suis si malheureuse !
A ces mots, Camille, Madeleine et Marguerite l’embrassèrent.
Sophie sécha ses larmes et essuya ses yeux.
– Merci mille fois, mes chères amies, je tâcherai de vous imiter, de devenir bonne comme vous. Ah ! si j’avais comme vous une maman douce et bonne, je serais meilleure ! Mais j’ai si peur de ma belle-mère ; elle ne me dit pas ce que je dois faire, mais elle me bat toujours.
– Pauvre Sophie ! dit Marguerite. Je suis bien fâchée de t’avoir détestée.
Camille et Madeleine demandèrent à Sophie de leur permettre d’achever un devoir de calcul et de géographie.
– Dans une demi-heure, nous aurons fini et nous irons vous rejoindre au jardin.
MARGUERITE. – Veux-tu venir avec moi, Sophie ?
SOPHIE. – Très volontiers ; nous allons courir dehors.
MARGUERITE. – Je vais te raconter ce qui est arrivé ce matin à trois pauvres petits hérissons et à leur maman.
Et, tout en marchant, Marguerite raconta toute la scène du matin.
SOPHIE. – Et où les a-t-on jetés, ces hérissons ?
MARGUERITE. – Dans la mare du potager.
SOPHIE. – Allons les voir ; ce sera très amusant.
MARGUERITE. – Mais il ne faut pas trop s’approcher de l’eau ; maman l’a défendu.
SOPHIE. – Non, non ; nous regarderons de loin.
Elles coururent vers la mare et, comme elles ne voyaient rien, elles approchèrent un peu.
SOPHIE. – En voilà un, en voilà un ! je le vois : il n’est pas mort, il se débat. Approche, approche : vois-tu ?
MARGUERITE. – Oui, je le vois ! Pauvre petit, comme il se débat ! les autres sont morts.
SOPHIE. – Si nous l’enfoncions dans l’eau avec un bâton pour qu’il meure plus vite ? Il souffre, ce pauvre malheureux.
MARGUERITE. – Tu as raison. Pauvre bête ! le voici tout près de nous.
SOPHIE. – Voilà un grand bâton : donne-lui un coup sur la tête, il enfoncera.
MARGUERITE. – Non, je ne veux pas achever ce pauvre petit hérisson ; et puis, maman ne veut pas que j’approche de la mare.
SOPHIE. – Pourquoi ?
MARGUERITE. – Parce que je pourrais glisser et tomber dedans.
SOPHIE. – Quelle idée ! Il n’y a pas le moindre danger.
MARGUERITE. – C’est égal ! il ne faut pas désobéir à maman.
SOPHIE. – Eh bien, à moi on n’a rien défendu.
Et Sophie, s’avançant avec précaution vers le bord de la mare, donna un grand coup au hérisson, avec une longue baguette. Au moment où la baguette retombait, le poids de son corps l’entraînant, Sophie tomba dans l’eau ; elle poussa un cri désespéré et disparut.
Marguerite s’élança, saisit la main de Sophie, la tira, parvint à faire sortir de l’eau le haut du corps de la malheureuse Sophie, et lui présenta l’autre main pour achever de la retirer.
Pendant quelques secondes elle lutta contre le poids trop lourd qui l’entraînait elle-même dans la mare ; puis elle se sentit tomber avec Sophie.
La courageuse enfant ne perdit pas la tête. Elle se souvint d’avoir entendu Mme de Fleurville dire que, lorsqu’on arrivait au fond de l’eau, il fallait, pour remonter à la surface, frapper le sol du pied ; aussitôt qu’elle sentit le fond, elle donna un fort coup de pied, remonta immédiatement au-dessus de l’eau, saisit un poteau qui se trouvait à portée de ses mains, et réussit, avec cet appui, à sortir de la mare.
N’apercevant plus Sophie, elle courut toute ruisselante d’eau vers la maison en criant : « Au secours, au secours ! » Des faucheurs et des faucheuses qui travaillaient près de là accoururent à ses cris.
– Sauvez Sophie, sauvez Sophie ! elle est dans la mare ! criait Marguerite.
Une des faneuses, plus intelligente que les autres, courut à la mare, aperçut la robe blanche de Sophie qui apparaissait un peu à la surface de l’eau, y plongea un long crochet qui servait à charger le foin, accrocha la robe, la tira vers le bord, allongea le bras, saisit la petite fille par la taille, et l’enleva non sans peine.
Pendant que la bonne femme sauvait l’enfant, Marguerite pleurait à chaudes larmes.
Camille et Madeleine accoururent au bruit.
Mme de Rosbourg et Mme de Fleurville arrivèrent précipitamment et poussèrent toutes deux un cri de terreur à la vue de Marguerite, dont les cheveux et les vêtements ruisselaient.
– Mon enfant, mon enfant ! s’écria Mme de Rosbourg. Que t’est-il donc arrivé ?
– Maman, ma chère maman, Sophie se noie.
A ces mots, Mme de Fleurville se précipita vers la mare. Elle ne tarda pas à rencontrer la faneuse avec Sophie dans ses bras, qui, elle aussi, pleurait à chaudes larmes.
Mme de Rosbourg, voyant le désespoir de Marguerite, lui dit :
– Sophie est sauvée, chère enfant ; elle va très bien, calme-toi, je t’en conjure.
– Mais qui l’a sauvée ? Je n’ai vu personne.
– Tout le monde y a couru pendant que tu revenais.
Cette assurance calma Marguerite ; elle se laissa emporter sans résistance.
Quand elle fut bien essuyée, séchée et rhabillée, sa maman lui demanda ce qui était arrivé. Marguerite lui raconta tout, mais en atténuant ce qu’elle sentait être mauvais pour Sophie.
– Tu vois, chère enfant, dit Mme de Rosbourg en l’embrassant mille fois, si j’avais raison de te défendre d’approcher de la mare. Tu as agi comme une petite fille sage, courageuse et généreuse… Allons voir ce que dévient Sophie.
Sophie avait été emportée par Mme de Fleurville et Elisa chez Camille et Madeleine, qui l’accompagnaient. On l’avait également déshabillée, essuyée, frictionnée, et on lui passait une chemise de Camille, quand la porte s’ouvrit violemment et Mme Fichini entra.
Sophie devint rouge comme une cerise.
– Qu’est-ce que j’apprends ? Vous avez abîmé votre jolie robe en vous laissant sottement tomber dans la mare !
Et, avant que personne ait le temps d’intervenir, elle tira de dessous son châle une baguette, s’élança sur Sophie et la fouetta violemment, malgré les cris et les pleurs de la pauvre petite, les supplications de Camille et Madeleine et les remontrances de Mme de Fleurville et Elisa.
Mme de Fleurville aurait voulu chasser cette méchante femme, mais ne voulait pas priver Sophie de consolation et d’appui en se brouillant définitivement avec sa belle-mère.
Quand Mme Fichini partit, elle promit d’envoyer souvent Sophie à Fleurville, comme le lui demandaient ces dames.
– Puisque vous voulez bien recevoir cette mauvaise créature, dit-elle, je serai enchantée de m’en débarrasser le plus souvent possible.
9 – Poires volées
Camille et Madeleine étaient toujours vêtues avec simplicité. Leurs cheveux étaient nattés et retenus par de petits peignes. Leurs robes étaient en percale blanche tout unie. Marguerite était habillée de même.
Ce jour-là, Mme de Fleurville avait invité à dîner quelques voisins, dont Mme Fichini et Sophie.
Mme Fichini arriva avec une toilette d’une élégance ridicule pour la campagne. Son corsage était bariolé de mille enjolivures, et sa jupe était si ample que Sophie avait été reléguée à l’avant de la voiture.
La société était sur le perron. Mme Fichini descendit, triomphante, grasse, rouge. Ses yeux étincelaient d’orgueil satisfait. Elle croyait être l’objet de l’admiration générale. Elle vit avec une satisfaction secrète que toutes les dames présentes portaient des toilettes simples. Aucune n’avait de volants, bijoux ou coiffure extraordinaires. Mais Mme Fichini se trompait sur la nature de l’effet qu’elle devait produire. Au lieu d’être l’admiration, ce fut une pitié moqueuse.
– Me voici, dit-elle en descendant de voiture.
Sophie suivait, tenant ses deux mains étalées sur son ventre.
– Bonjour, ma petite Sophie, dit Mme de Fleurville. Va embrasser tes amies. Quelle belle toilette vous avez, madame ! ajouta-t-elle à Mme Fichini. Nous ne méritons pas une telle élégance.
– Comment, chère dame ! vous valez la peine qu’on s’habille. Il faut bien user ses vieilles robes à la campagne.
Mme Fichini voulut prendre place sur un fauteuil, mais la largeur de sa robe et la raideur de ses jupons repoussèrent le fauteuil, et elle tomba par terre…
Un rire général salua cette chute qui laissait à découvert deux grosses jambes dont l’une gigotait avec emportement.
Mme de Fleurville offrit son aide pour la relever, mais ses efforts furent impuissants, et il fallut que deux voisins lui viennent en aide.
Mme Fichini, furieuse, se plaignit d’une entorse. Sophie demanda tout bas à Camille de s’éloigner.
– Pourquoi veux-tu t’en aller ? dit Camille ; nous allons dîner.
Sophie écarta ses mains de son ventre, et découvrit une énorme tache de café au lait.
SOPHIE, bas – J’ai fait cette tache au petit-déjeuner.
CAMILLE, bas – Tu n’as pas changé de robe ?
SOPHIE, bas – Maman ne veut pas. Depuis que je suis tombée dans la mare, je dois porter mes robes trois jours.
Camille appela tout bas Madeleine et Marguerite. Elles allèrent dans leur chambre, et frottèrent tant la robe que la tache disparut. Elle rentrèrent au salon au moment où l’on allait se mettre à table.
Après le dîner, toute la société alla se promener.
Mme de Fleurville fit admirer une poire d’une espèce nouvelle, d’une grosseur et d’une saveur remarquables. Il n’y en avait que quatre sur le jeune poirier qui la produisait. Tout le monde s’extasia.
– Venez donc les goûter dans huit jours, elles seront bien mûres, dit Mme de Fleurville.
Sophie suivait le groupe, très tentée par les poires. Mais comment en prendre une ? Tout le monde la verrait… Elle sentit alors sa jarretière tomber.
S’arrêtant près du poirier tentateur, elle se mit à l’arranger, et regarda ses amies continuer leur chemin.
– Veux-tu que je t’aide ? demanda Camille.
SOPHIE, avec impatience – Non, non, merci. Tu me gênes, va-t-en.
Aussitôt qu’elle se fut éloignée, Sophie cueillit une poire qu’elle mit dans sa poche. Au moment où elle cueillait la deuxième poire, Camille se retourna et la vit retirer précipitamment sa main. Pourtant, elle ne se douta pas de ce que venait de faire Sophie.
CAMILLE, riant – Que fais-tu là ? Et pourquoi es-tu si rouge ?
SOPHIE, avec colère – Je ne fais rien du tout, mademoiselle ; et je ne suis pas rouge du tout.
CAMILLE, avec gaieté – Pas rouge ! Madeleine, Marguerite, regardez donc Sophie : elle dit qu’elle n’est pas rouge !
SOPHIE, pleurant – Tu dis ça pour me faire gronder.
CAMILLE, avec la plus grande surprise – Sophie, ma pauvre Sophie, qu’as-tu donc ? Je ne veux certainement pas te faire gronder.
Et elle courut vers Sophie pour l’embrasser.
Elle vit alors l’énorme poche, regarda le poirier et comprit tout.
– Ah ! Sophie ! Comme c’est mal, ce que tu as fait !
– Laisse-moi tranquille, petite espionne, répondit Sophie avec emportement. Je n’ai rien fait. Et ne t’avise pas de rapporter contre moi.
– Je ne rapporte jamais, Sophie. Je te laisse, je ne veux pas rester près de toi et de tes poires volées.
Sophie courut se cacher dans un massif pour manger les fruits dérobés. Camille resta immobile. Toute la société revenait.
– Hélas, vos belles poires ont disparu ! s’écria Mme Fichini.
– Sais-tu ce qu’elles sont devenues, Camille ? demanda Mme de Fleurville.
– Oui, maman, je le sais, répondit Camille qui était incapable de mentir.
– Qui s’est permis de les cueillir ?
CAMILLE, hésitant – Je… ne dois pas… le dire…
MADAME FICHINI, riant aux éclats – Ha! ha! ha! c’est comme Sophie, qui vole et mange mes fruits et qui ment ensuite.
CAMILLE, avec vivacité – Non, madame, je ne vole pas et je ne mens jamais !
MADAME DE FLEURVILLE. – Mais pourquoi, Camille, ne veux-tu rien dire ?
Camille baissa les yeux, rougit et répondit tout bas : « Je ne peux pas. »
Mme de Rosbourg et de Fleurville soupçonnèrent qu’elle se taisait par générosité. Elles s’éloignèrent avec Mme Fichini. La pauvre Camille fondit en larmes.
Madeleine, Sophie et Marguerite la rejoignirent.
– Camille ! nous te cherchons depuis un quart d’heure ! Pourquoi pleures-tu ? lui demanda Marguerite.
– Je… je ne pleure pas… seulement… j’ai… j’ai du chagrin.
Et elle recommença à sangloter.
Madeleine et Marguerite l’entourèrent de leurs bras en lui demandant de leur confier son chagrin.
Camille leur raconta alors qu’on la soupçonnait d’avoir mangé les belles poires. Sophie rougit et demanda d’une voix tremblante : « Tu n’as pas dit… que tu savais… que tu connaissais… »
CAMILLE. – Oh non, Je n’ai rien dît !
MADELEINE. – Comment ! Tu sais qui a pris les poires ?
CAMILLE, très bas – Oui.
MADELEINE. – Et pourquoi ne l’as-tu pas dit ?
Camille leva les yeux, regarda Sophie et ne répondit pas. Sophie se troublait de plus en plus.
Enfin elle se jeta à genoux devant elle en sanglotant : Pardon ! Oh, pardon, Camille ! J’ai été méchante, ne m’en veux pas. Je vais de ce pas dire à ma belle-mère et à ces dames que c’est moi qui ai volé les poires et dois être punie. Et que toi, ma bonne Camille, tu ne mérites que des éloges.
– Arrête, Sophie, s’écria Camille en la saisissant par le bras. Tu as commis une très grande faute, mais tu l’as déjà en partie réparée par ton repentir.
A ce moment, Mme de Rosbourg sortit de la serre à laquelle étaient adossées les enfants.
– J’ai tout entendu, mes enfants. Mais je cacherai la vérité à Mme Fichini. Essayons de finir gaiement la journée. On va tirer une loterie. Il y a des lots pour chacune de vous ! Et tous les visages reprirent un air radieux.
10 – La poupée mouillée
Marguerite avait gagné à la loterie une charmante poupée en cire et un trousseau complet dans une jolie commode. Les jours suivants, les trois fillettes passèrent leur temps à habiller, déshabiller, coucher et lever la poupée.
Un après-midi, Mme de Fleurville les appela :
– Mettez vos chapeaux, nous allons faire une promenade.
CAMILLE. – Vite, vite ! Rejoignons maman !
MARGUERITE. – J’emporte ma poupée avec moi ; je veux l’avoir toujours dans mes bras.
MADELEINE. – Tu risques de la salir.
MARGUERITE. – Non, non, je la porterai.
CAMILLE. – C’est bon, laissons-la faire, Madeleine. Elle verra bien que la poupée la gêne pour courir.
Elles rejoignirent Mme de Fleurville.
– Où allons-nous, maman ? demanda Camille.
– Au moulin de la forêt, mes enfants.
Marguerite fit une petite grimace, car c’était loin et que la poupée était un peu lourde.
A la moitié du chemin, Mme de Fleurville s’assit et leur dit de se reposer pendant qu’elle lirait. Mais Camille et Madeleine n’étaient pas fatiguées.
– Camille, s’écria Madeleine, viens vite, voici une grande place pleine de fraises !
Camille accourut et appela Marguerite.
– Viens en cueillir, Marguerite, elles sont excellentes.
Marguerite se hâta de les rejoindre, mais, gênée par sa poupée, elle ne pouvait à la fois les ramasser et les tenir dans sa main, où elles s’écrasaient au fur et à mesure.
– Que faire, mon Dieu, de cette ennuyeuse poupée ? se dit-elle tout bas. Si je la posais au pied de ce gros chêne ?… il y a de la mousse, elle sera très bien.
Soulagée, elle assit la poupée au pied de l’arbre et cueillit des fraises avec ardeur.
Au bout d’un quart d’heure, Mme de Fleurville leva les yeux et vit le ciel se couvrir de nuages. Elle appela les enfants.
– Vite, rentrons avant que la pluie ne tombe ! Le ciel devient noir, on entend déjà le tonnerre.
MARGUERITE. – Mon Dieu, j’ai peur !
MADAME DE FLEURVILLE. – De quoi as-tu peur, Marguerite ?
MARGUERITE. – Du tonnerre ; j’ai peur qu’il ne tombe sur moi.
MADAME DE FLEURVILLE. – Quand le tonnerre tombe, c’est généralement sur les arbres ou les cheminées. Ensuite, le tonnerre ne te ferait aucun mal, parce que tu as un fichu de soie et des rubans de soie à ton chapeau.
MARGUERITE. – Comment ? La soie chasse le tonnerre ?
MADAME DE FLEURVILLE. – Exactement.
MARGUERITE. – Comme je suis contente de le savoir ! Je n’aurai plus peur du tonnerre !
MADAME DE FLEURVILLE. – Courons ! dans dix minutes, la pluie tombera.
Les trois enfants se mirent à courir.
Mais elles avaient beau se dépêcher, l’orage les rattrapait. Les gouttes commencèrent à tomber plus serrées, le vent soufflait avec violence. Elles entrèrent dans le vestibule au moment où la grêle et la pluie commençaient à leur fouetter le visage et à les tremper.
– Allez vite vous changer, mes enfants, leur conseilla Mme de Fleurville.
Il fut impossible de sortir pendant tout le reste de la soirée. A huit heures, Marguerite alla se coucher ; Camille et Madeleine, fatiguées de leurs jeux, prirent chacune un livre. Elles lisaient attentivement lorsque Marguerite accourut en chemise de nuit, sanglotant et criant.
Camille et Madeleine se précipitèrent vers elle.
Mmes de Fleurville et de Rosbourg s’étaient aussi levées précipitamment et interrogeaient Marguerite sur la cause de ses cris.
Marguerite, en pleurs, ne pouvait répondre.
Puis elle articula : Ma poupée… ma… poupée…
– Qu’est-il donc arrivé ? interrogea Mme de Rosbourg.
– Ma… belle… poupée… est restée… dans la forêt…
– Et comment peut-elle y être ? demanda sa maman.
– Je l’ai emportée à la promenade et je l’ai assise sous un gros chêne, parce qu’elle me gênait pour cueillir des fraises. Quand nous nous sommes sauvées à cause de l’orage, je l’ai oubliée sous l’arbre.
– Peut-être l’arbre l’aura-t-il protégée.
– Je vous en prie, ma chère maman, dit Marguerite en joignant les mains, envoyez le domestique chercher ma poupée dans la forêt.
– Comment ! Tu veux qu’un pauvre domestique s’en aille par une pluie battante dans la forêt ? Je ne reconnais pas là ton bon coeur.
– Mais elle sera trempée, salie, perdue !
– Chère enfant, nous ne pouvons qu’attendre avec patience jusqu’à demain matin. Si le temps le permet, nous irons chercher ta poupée.
Marguerite baissa la tête et s’en alla dans sa chambre en pleurant. Epuisée, elle s ‘endormit d’un sommeil profond.
Le lendemain, il faisait un temps superbe.
Marguerite sauta de son lit pour s’habiller. Quand elle eut pris son petit déjeuner, elle courut rejoindre ses amies et sa maman, qui étaient prêtes depuis longtemps et qui l’attendaient pour partir.
– Allons jusqu’à l’arbre où la pauvre poupée a passé une si mauvaise nuit.
Tout le monde se mit en route. Les mamans marchaient vite, vite ; les petites couraient plutôt qu’elles ne marchaient. Aucune d’elles ne parlait. Leur coeur battait à mesure qu’elles approchaient.
– Je vois le grand chêne au pied duquel elle doit être, dit Marguerite.
Elles arrivèrent près de l’arbre ; pas de poupée ; et rien qui indiquât qu’elle aurait dû être là. Marguerite regardait ses amies d’un air consterné. Camille et Madeleine étaient désolées.
– Mais, demanda Mme de Rosbourg, es-tu bien sûre de l’avoir laissée ici ?
– Tout à fait sûre, maman.
– En voici la preuve, dit Madeleine en ramassant dans une touffe d’herbe une petite chaussure de satin bleu.
Marguerite prit la chaussure, la regarda et se mit à pleurer. Chacune se demandait :
– Qu’est donc devenue cette poupée ? Comment n’en est-il rien resté ?
Elles rentrèrent, songeuses, au château.
A peine arrivée, Madeleine courut à son sac à ouvrage et en tira une petite bourse.
– Tiens, ma chère Marguerite, voici de quoi acheter une poupée. J’avais économisé pour acheter quelques livres dont je n’ai pas besoin.
– Merci, ma bonne, ma chère Madeleine ! dit Marguerite qui était devenue rouge de joie. Oh ! merci, merci !
Et elle courut chez Mme de Rosbourg qui lui promit d’acheter sa poupée la prochaine fois qu’on irait à Paris.