Les Petites Filles Modèles (Contesse de Ségur) Chapitre 1 à 5

Les Petites Filles Modèles (Contesse de Ségur) Chapitre 1 à 5

28 août 2013 0 Par rinala

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Conte de Noël

1 – Camille et Madeleine

Mme de Fleurville était la mère de deux petites filles, bonnes, gentilles, aimables, et qui avaient l’une pour l’autre le plus tendre attachement. On voit souvent des frères et des soeurs se quereller, se contredire et venir se plaindre à leurs parents après s’être disputés de manière à ce qu’il soit impossible de démêler de quel côté vient le premier tort. Jamais on n’entendait une discussion entre Camille et Madeleine. Tantôt l’une, tantôt l’autre cédait au désir exprimé par sa soeur.

Pourtant leurs goûts n’étaient pas exactement les mêmes. Camille, plus âgée d’un an que Madeleine, avait huit ans. Plus vive, plus étourdie, préférant les jeuxbruyants aux jeux tranquilles, elle aimait à courir, à faire et à entendre dutapage. Jamais elle ne s’amusait autant que lorsqu’il y avait une grande réunion d’enfants, qui lui permettait de se livrer sans réserve à ses jeux favoris.
Madeleine préférait au contraire à tout ce joyeux tapage les soins qu’elledonnait à sa poupée et à celle de Camille, qui, sans Madeleine, eût risqué souvent de passer la nuit sur une chaise et de ne changer de linge et de robeque tous les trois ou quatre jours.

Mais la différence de leurs goûts n’empêchait pas leur parfaite union. Madeleine abandonnait avec plaisir son livre ou sa poupée dès que sa soeur exprimait le désir de se promener ou de courir ; Camille, de son côté, sacrifiait son amour pour la promenade et pour la chasse aux papillons dès que Madeleine témoignait l’envie de se livrer à des amusements plus calmes.
Elles étaient parfaitement heureuses, ces bonnes petites soeurs, et leur maman les aimait tendrement ; toutes les personnes qui les connaissaient les aimaient aussi et cherchaient à leur faire plaisir.

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2 – La promenade, l’accident

Un jour, Madeleine peignait sa poupée; Camille lui présentait les peignes, rangeait les robes,les souliers, changeait les lits de poupée de place, transportait les armoires, les commodes, les chaises, les tables. Elle voulait, disait-elle, faire leur déménagement : car ces dames (les poupées) avaient changé de maison.

MADELEINE.
– Je t’assure, Camille, que les poupées étaient mieux logées dans leur ancienne maison; il y avait bien plus de place pour leurs meubles.

CAMILLE.
– Oui, c’est vrai, Madeleine; mais elles étaient ennuyées de leur vieille maison. Elles trouvent d’ailleurs qu’ayant une plus petite chambre, elles y auront plus chaud.

MADELEINE.
– Oh ! quant à cela, elles se trompent bien, car elles sont près de la porte, qui leur donnera du vent, et leurs lits sont tout contre la fenêtre, qui ne leur donnera pas de chaleur non plus.

CAMILLE.
– Eh bien ! quand elles auront demeuré quelque temps dans cette nouvelle maison, nous tâcherons de leur en trouver une plus commode. Du reste, cela ne te contrarie pas, Madeleine ?

MADELEINE.
– Oh ! Pas du tout, Camille, surtout si cela te fait plaisir. Camille, ayant achevé le déménagement des poupées, proposa à Madeleine, qui avait fini de son côté de les coiffer et de les habiller, d’aller chercher leur bonne pour faire une longue promenade. Madeleine y consentit avec plaisir ; elles appelèrent donc Elisa.

– Ma bonne, lui dit Camille, voulez-vous venir promener avec nous ?

ÉLISA.
– Je ne demande pas mieux, mes petites ; de quel côté irons-nous ?

CAMILLE.
– Du côté de la grande route, pour voir passer les voitures ; veux-tu, Madeleine ?

MADELEINE.
– Certainement, et si nous voyons de pauvres femmes et de pauvres enfants, nous leur donnerons de l’argent. Je vais emporter cinq sous.

CAMILLE.
– Oh! oui, tu as raison, Madeleine; moi, j’emporterai dix sous.

Voilà les petites filles bien contentes ; elles courent devant leur bonne, et arrivent à la barrière qui les séparait de la route; en attendant le passage des voitures, elles s’amusent à cueillir des fleurs pour en faire des couronnes à leurs poupées.

Ah ! j’entends une voiture, s’écrie Madeleine.

– Oui. Comme elle va vite ! nous allons bientôt la voir.

– Ecoute donc,Camille ; n’entends-tu pas crier ?

– Non, je n’entends que la voiture qui roule. »

Madeleine ne s’était pas trompée : car, au moment où Camille achevait de parler, on entendit bien distinctement des cris perçants, et l’instant d’après, les petites filles et la bonne, qui étaient restées immobiles de frayeur, virent arriver une voiture attelée de trois chevaux de poste lancés ventre à terre,et que le postillon cherchait vainement à retenir.

Une dame et une petite fille de quatre ans, qui étaient dans la voiture, poussaient les cris qui avaient alarmé Camille et Madeleine.

A cent pas de la barrière, le postillon fut renversé de son siège, et la voiture lui passa sur le corps ; les chevaux, ne se sentant plus retenus ni dirigés, redoublèrent de vitesse et s’élancèrent vers un fossé très profond, qui séparait la route d’un champ labouré. Arrivée en face de la barrière où étaient Camille, Madeleine et leur bonne, toutes trois pâles d’effroi, la voiture versa dans le fossé ; les chevaux furent entraînés dans la chute ; on entendit un cri perçant, un gémissement plaintif, puis plus rien.

Quelques instants se passèrent avant que la bonne fût assez revenue de sa frayeur pour songer à secourir cette malheureuse dame et cette pauvre enfant, qui probablement avaient été tuées par la violence de la chute. Aucun cri ne se faisait plus entendre. Et le malheureux postillon, écrasé par la voiture, ne fallait-il pas aussi lui porter secours ?

Enfin, elle se hasarda à s’approcher de la voiture culbutée dans le fossé. Camille et Madeleine la suivirent en tremblant.

Un des chevaux avait été tué ; un autre avait la cuisse cassée et faisait des efforts impuissants pour se relever ; le troisième, étourdi et effrayé de sa chute,était haletant et ne bougeait pas.

 » Je vais essayer d’ouvrir la portière, dit la bonne mais n’approchez pas, mes petites : si les chevaux se relevaient, ils pourraient vous tuer. »

Elle ouvre, et voit la dame et l’enfant sans mouvement et couverts de sang.

 » Ah ! mon Dieu !la pauvre dame et la petite fille sont mortes ou grièvement blessées. »

Camille et Madeleine pleuraient. Elisa, espérant encore que la mère et l’enfant n’étaient qu’évanouies, essaya de détacher la petite fille des bras de sa mère, qui la tenait fortement serrée contre sa poitrine ; après quelques efforts, elle parvient à dégager l’enfant, qu’elle retire pâle et sanglante. Ne voulant pas la poser sur la terre humide, elle demande aux deux soeurs si elles auront la force et le courage d’emporter la pauvre petite jusqu’au banc qui est de l’autre côté de la barrière.

 » Oh ! oui, ma bonne, dit Camille ; donnez-la-nous, nous pourrons la porter, nous la porterons. Pauvre petite, elle est couverte de sang ; mais elle n’est pas morte, j’en suis sûre. Oh ! non, non, elle ne l’est pas. Donnez, donnez, ma bonne. Madeleine, aide-moi.

– Je ne peux pas,Camille, répondit Madeleine d’une voix faible et tremblante.

Ce sang, cette pauvre mère morte, cette pauvre petite morte aussi, je crois, m’ôtent la force nécessaire pour t’aider. Je ne puis… que pleurer.

– Je l’emporterai donc seule, dit Camille. J’en aurai la force, car il le faut, le bon Dieu m’aidera. »

En disant ces mots elle relève la petite, la prend dans ses bras, et malgré ce poids trop lourd pour ses forces et son âge, elle cherche à gravir le fossé ; mais son pied glisse, ses bras vont laisser échapper son fardeau, lorsque Madeleine,surmontant sa frayeur et sa répugnance, s’élance au secours de sa soeur et l’aide à porter l’enfant ; elles arrivent au haut du fossé, traversent la route, et vont tomber épuisées sur le banc que leur avait indiqué Elisa.

Camille étend lapetite fille sur ses genoux ; Madeleine apporte de l’eau qu’elle a été chercher dans un fossé ; Camille lave et essuie avec son mouchoir le sang qui inonde le visage de l’enfant, et ne peut retenir un cri de joie lorsqu’elle voit que la pauvre petite n’a pas de blessure.

 » Madeleine, ma bonne, venez vite ; la petite fille n’est pas blessée… elle vit ! elle vit… elle vient de pousser un soupir… Oui, elle respire, elle ouvre les yeux. »

Madeleine accourt; l’enfant venait en effet de reprendre connaissance. Elle regarde autour d’elle d’un air effrayé.

 » Maman !dit-elle, maman ! je veux voir maman !

– Ta maman va venir, ma bonne petite, répond Camille en l’embrassant. Ne pleure pas ; reste avec moi et avec ma soeur Madeleine.

– Non, non, je veux voir maman ; ces méchants chevaux ont emporté maman.

– Les méchants chevaux sont tombés dans un grand trou ; ils n’ont pas emporté ta maman, je t’assure. Tiens, vois-tu ? Voilà ma bonne Elisa ; elle apporte ta maman, qui dort. »

La bonne, aidée de deux hommes qui passaient sur la route, avait retiré de la voiture la mère de la petite fille. Elle ne donnait aucun signe de vie ; elle avait à la tête une large blessure ; son visage, son cou, ses bras étaient inondés de sang.

Pourtant son coeur battait encore ; elle n’était pas morte.

La bonne envoya l’un des hommes qui l’avaient aidée avertir bien vite Mme de Fleurville d’envoyer du monde pour transporter au château la dame et l’enfant, relever le postillon, qui restait étendu sur la route, et dételer les chevaux qui continuaient à se débattre et à ruer contre la voiture.

L’homme part. Un quart d’heure après, Mme de Fleurville arrive elle-même avec plusieurs domestiques et une voiture, dans laquelle on dépose la dame. On secourt le postillon, on relève la voiture versée dans le fossé.

La petite fille,pendant ce temps, s’était entièrement remise : elle n’avait aucune blessure ;son évanouissement n’avait été causé que par la peur et la secousse de la chute.

De crainte qu’elle ne s’effrayât à la vue du sang qui coulait toujours de la blessure de sa mère,Camille et Madeleine demandèrent à leur maman de la ramener à pied avec elles.La petite, habituée déjà aux deux soeurs, qui la comblaient de caresses,croyant sa mère endormie, consentit avec plaisir à faire la course à pied.

Tout en marchant,Camille et Madeleine causaient avec elle.

MADELEINE. -Comment t’appelles-tu, ma chère petite ?

MARGUERITE. – Je m’appelle Marguerite.

CAMILLE. – Et comment s’appelle ta maman ?

MARGUERITE. – Ma maman s’appelle maman.

CAMILLE. – Mais son nom ? Elle a un nom, ta maman ?

MARGUERITE. – Oh !oui, elle s’appelle maman.

CAMILLE (riant).- Mais les domestiques ne l’appellent pas maman ?

MARGUERITE. – Ils l’appellent madame.

MADELEINE. – Mais,madame qui ?

MARGUERITE. – Non,non. Pas madame qui ; seulement madame.

CAMILLE. -Laisse-la, Madeleine ; tu vois bien qu’elle est trop petite ; elle ne saitpas. Dis-moi, Marguerite, où allais-tu avec ces méchants chevaux qui t’ont fait tomber dans le trou ?

MARGUERITE. -J’allais voir ma tante ; je n’aime pas ma tante ; elle est méchante, elle gronde toujours. J’aime mieux rester avec maman… et avec vous, ajouta-t-elle en baisant la main de Camille et de Madeleine.

Camille et Madeleine embrassèrent la petite Marguerite.

MARGUERITE. -Comment vous appelle-t-on ?

CAMILLE. – Moi, je m’appelle Camille, et ma soeur s’appelle Madeleine.

MARGUERITE. – Eh bien ! vous serez mes petites mamans. Maman Camille et maman Madeleine.

Tout en causant,elles étaient arrivées au château. Mme de Fleurville s’était empressée d’envoyer chercher un médecin et avait fait coucher Mme de Rosbourg dans un bon lit. Son nom était gravé sur une cassette qui se trouvait dans sa voiture,et sur les malles attachées derrière. On avait bandé sa blessure pour arrêter le sang, et elle reprenait connaissance par degrés. Au bout d’une demi-heure,elle demanda sa fille, qu’on lui amena.

Marguerite entra bien doucement, car on lui avait dit que sa maman était malade. Camille et Madeleine l’accompagnaient.

 » Pauvre maman,dit-elle en entrant, vous avez mal à la tête ?

– Oui, mon enfant,bien mal.

– Je veux rester avec vous, maman.

– Non, ma chère petite ; embrasse-moi seulement, et puis tu t’en iras avec ces bonnes petites filles ; je vois à leur physionomie qu’elles sont bien bonnes.

– Oh ! oui, maman,bien bonnes ; Camille m’a donné sa poupée ; une bien jolie poupée !… et Madeleine m’a fait manger une tartine de confiture. »

Mme de Rosbourg sourit de la joie de la petite Marguerite, qui allait parler encore, lorsque Mme de Fleurville, trouvant que la malade s’était déjà trop agitée, conseilla à Marguerite d’aller jouer avec ses deux petites mamans, pour que sa grande maman pût dormir.

Marguerite, après avoir encore embrassé Mme de Rosbourg, sortit avec Camille et Madeleine.

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3 – Marguerite

MADELEINE. -Prends tout ce que tu voudras, ma chère Marguerite. Amuse-toi avec nosjoujoux.

MARGUERITE. – Oh !les belles poupées ! En voilà une aussi grande que moi…. Oh ! le beau petit chien ! on dirait qu’il est vivant. Et le joli petit âne… Oh ! les belles petites assiettes ! des tasses, des cuillers, des fourchettes ! et des couteaux aussi ! Et cette petite commode pleine de robes… Comme c’est bien rangé !… tes jolis petits livres ! Quelle quantité d’images ! il y en a plein l’armoire !

Camille et Madeleine riaient de voir Marguerite courir d’un jouet à l’autre, ne sachant lequel prendre, en poser un, puis le reprendre. Enfin, elle prit la petite diligence attelée de quatre chevaux, et elle demanda à Camille et à Madeleine de sortir avec elle pour mener la voiture dans le jardin.

Elles se mirent toutes trois à courir dans les allées et sur l’herbe ; après quelques tours,la diligence versa.

– Ah ! mon Dieu,s’écria Marguerite, j’ai cassé votre voiture, Camille.

CAMILLE. – Ne pleure pas, ma petite Marguerite, ce ne sera rien. Nous allons ouvrir la portière et rasseoir les voyageurs à leurs places.

MARGUERITE. – Mais si les voyageurs ont mal à la tête, comme maman ?

MADELEINE. – Non,non, ils se portent à merveille.

MARGUERITE. – Tant mieux ! J’avais peur de vous faire de la peine.
Marguerite continua à traîner la diligence mais avec précaution.

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4 – Réunies

Pendant que les enfants jouaient, le médecin était venu voir Mme de Rosbourg : il ne trouva pas la blessure dangereuse.

Marguerite venait voir sa mère plusieurs fois par jour ; mais elle ne restait pas longtemps dans la chambre pour ne pas la fatiguer.

Mme de Rosbourg,convalescente, regrettait de quitter Mme de Fleurville.

– Et pourquoi donc me quitteriez-vous, chère amie ? dit un jour Mme de Fleurville. Pourquoi ne vivrions-nous pas ensemble ? Votre petite Marguerite est parfaitement heureuse avec Camille et Madeleine ; je serai enchantée si vous me promettez de ne pas me quitter. Je vis dans un grand isolement depuis la mort de mon mari. Vous n’avez plus de mari non plus, puisque vous n’avez reçu aucune nouvelle du vôtre depuis le naufrage du vaisseau sur lequel il s’était embarqué.

MADAME DE ROSBOURG.- Hélas ! oui. Eh bien, puisque vous me pressez si amicalement de rester ici,j’y consens volontiers.

MADAME DE FLEURVILLE. – Ainsi donc, chère amie, c’est une chose décidée ?

MADAME DE ROSBOURG.- Oui, puisque vous le voulez bien ; nous demeurerons ensemble.

MADAME DE FLEURVILLE. – Que vous êtes bonne d’avoir cédé si promptement à mes désirs,chère amie ! Je vais porter cette heureuse nouvelle à mes filles ; elles en seront enchantées.

Mme de Fleurville entra dans la chambre où Camille et Madeleine prenaient leurs leçons bien attentivement, pendant que Marguerite s’amusait avec les poupées.

MADAME DE FLEURVILLE. – Mes petites filles, je viens vous annoncer une nouvelle qui vous fera grand plaisir. Mme de Rosbourg et Marguerite ne nous quitteront pas,comme nous le craignions.

CAMILLE. – Comment! maman, elles resteront toujours avec nous ?

MADAME DE FLEURVILLE. – Oui, toujours, ma fille.

– Oh, quel bonheur! dirent les trois enfants à la fois.

Marguerite courut embrasser Mme de Fleurville, qui, après lui avoir rendu ses caresses, dit à Camille et Madeleine :

– Mes chères enfants, si vous voulez me rendre toujours heureuse comme vous l’avez fait jusqu’ici, il faut redoubler encore d’application au travail. Pour rendre Marguerite bonne et sage, il faut lui donner toujours de bons conseils et surtout de bons exemples.

CAMILLE. – Oh ! ma chère maman, soyez tranquille ; nous élèverons Marguerite aussi bien que vous nous élevez. Je lui apprendrai à lire, à écrire ; et Madeleine lui apprendra à travailler, à tout ranger, à tout mettre en ordre ; n’est-ce pas, Madeleine ?

MADELEINE. – Oui,certainement.

– Je serai toujours bien sage, reprit Marguerite en les embrassant.

CAMILLE. – Eh bien, ma petite Marguerite, puisque tu veux être bien sage, fais-moi l’amitié d’aller te promener pendant une heure. Si tu restes toujours assise, tu perdras tes couleurs.

MARGUERITE. – Oh !Camille, je t’en prie, laisse-moi avec toi !

Camille allait céder, mais Madeleine pressentit la faiblesse de sa soeur :

– Ma chère Marguerite, Camille t’a dit d’aller te promener, tu demandes toujours à rester encore un instant. Camille a la bonté de t’écouter ; mais cette fois, nous voulons que tu sortes.

Marguerite regarda Camille d’un air suppliant ; mais Camille n’osa pas lever les yeux, de crainte de se laisser attendrir. Marguerite sortit lentement et descendit dans le jardin.

Mme de Fleurville avait écouté, sans mot dire, cette petite scène ; elle s’approcha de Madeleine et l’embrassa tendrement.

« Bien ! Madeleine, lui dit-elle. Et toi, Camille, courage ; fais comme ta soeur. « . Puis elle sortit.

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5 – Les fleurs cueillies et remplacées

– Mon Dieu ! mon Dieu ! que je m’ennuie toute seule ! pensa Marguerite après avoir marché un quart d’heure. Qu’est-ce que je vais faire pour m’amuser ?… Oh ! j’ai une bonne idée : je vais nettoyer et balayer leur petit jardin.

Elle courut vers le jardin de Camille et de Madeleine, le nettoya et balaya les feuilles tombées. Tout à coup l’idée lui vint de cueillir un beau bouquet pour Camille et pour Madeleine.

– Comme elles seront contentes ! se dit-elle. Je vais prendre toutes les fleurs, j’en ferai un magnifique bouquet pour leur chambre, qui sentira bien bon !
Marguerite, enchantée de son idée, cueillit tout ce qui se trouvait dans le jardin.

Elle courut à la maison, entra précipitamment dans la chambre où travaillaient encore Camille et Madeleine, et, d’un air radieux :

– Regardez ce que je vous apporte !

Et, ouvrant son tablier, elle leur fit voir toutes les fleurs fanées.

– J’ai cueilli tout cela pour vous, leur dit-elle : nous les mettrons dans notre chambre,pour qu’elle sente bon !

Camille et Madeleine se regardèrent en souriant. La gaieté les gagna à la vue de ces paquets de fleurs flétries et de l’air triomphant de Marguerite ; enfin elles se mirent à rire aux éclats en voyant la figure rouge, déconcertée et mortifiée de Marguerite. La pauvre petite restait immobile.

Enfin Camille put parler.

– Où as-tu cueilli ces belles fleurs, Marguerite ?

– Dans votre jardin.

– Dans notre jardin ! s’écrièrent à la fois les deux soeurs, qui n’avaient plus envie de rire. Comment ! tout cela dans notre jardin !

– Tout, tout, même les boutons.

Camille et Madeleine se regardèrent d’un air consterné et douloureux.

Marguerite, sans le vouloir, leur causait un grand chagrin. Elles réservaient toutes ces fleurs pour offrir un bouquet à leur maman le jour de sa fête.

Marguerite,étonnée de ne pas recevoir les remerciements et les baisers auxquels elle s’attendait, regarda attentivement les deux soeurs, et, lisant leur chagrin sur leurs figures consternées, elle comprit vaguement qu’elle avait fait quelque chose de mal, et se mit à pleurer.

Madeleine rompit enfin le silence.

– Ma petite Marguerite, nous t’avons dit bien des fois de ne toucher à rien sans en demander la permission. Tu as cueilli nos fleurs et tu nous as fait de la peine. Nous voulions donner après-demain à maman, pour sa fête, un beau bouquet de fleurs plantées et arrosées par nous. Maintenant, par ta faute,nous n’avons plus rien à lui donner.

Les pleurs de Marguerite redoublèrent.

– Nous ne te grondons pas, reprit Camille, parce que nous savons que tu ne l’as pas fait par méchanceté.

Marguerite sanglotait.

– Console-toi, ma petite Marguerite, dit Madeleine en l’embrassant ; tu vois bien que nous ne sommes pas fâchées contre toi.

– Parce que…vous… êtes… trop bonnes…. dit Marguerite, qui suffoquait ; mais…vous… êtes tristes… Cela… me fait de la peine… Pardon pardon…Camille…je ne le… ferai plus…. bien sûr.

Camille et Madeleine l’embrassèrent. A ce moment, Mme de Rosbourg entra ; elle s’arrêta,étonnée en voyant les yeux rouges et la figure gonflée de sa fille.

– Marguerite !qu’as-tu, mon enfant ? Serais-tu méchante, par hasard ?

– Oh non ! madame,répondit Madeleine ; nous la consolons.

MADAME DE ROSBOURG.- De quoi la consolez-vous, chères petites ?

MADELEINE. – De…de…

Madeleine rougi tet s’arrêta.

MADAME DE ROSBOURG.- Marguerite, dis-moi toi-même pourquoi tu pleures et pourquoi tes amies te consolent.

– Oh ! maman,chère maman, s’écria Marguerite en se jetant dans les bras de sa mère, j’ai été bien méchante ; j’ai fait de la peine à mes amies, mais c’était sans le vouloir. J’ai cueilli toutes les fleurs de leur jardin ; elles n’ont plus rien à donner à leur maman pour sa fête, et, au lieu de me gronder, elles m’embrassent. Mon Dieu ! mon Dieu ! que j’ai du chagrin !

– Tu fais bien de m’avouer tes sottises, ma chère enfant, je tâcherai de les réparer. Tes petites amies sont bien bonnes de ne pas t’en vouloir.

Mme de Rosbourg se fit conduire à la ville de Moulins, qui n’était qu’à cinq kilomètres de la maison de campagne de Mme de Fleurville.

Elle descendit chez un marchand de fleurs, et choisit les plus belles et les plus jolies.

– Ayez la complaisance, monsieur, dit-elle au marchand, de m’apporter vous-même tous ces pots de fleurs chez Mme de Fleurville. Je vous ferai indiquer la place où ils doivent être plantés, et vous surveillerez ce travail. Je désire que ce soit fait la nuit, pour ménager une surprise aux petites de Fleurville.

– Madame peut être tranquille ; tout sera fait selon ses ordres.

– Combien vous devrai-je, monsieur, pour les fleurs et la plantation ?

– Ce sera quarante francs, madame.

Mme de Rosbourg remonta en voiture et retourna au château de Fleurville. Son absence avait été si courte que ni Mme de Fleurville ni, les enfants ne s’en étaient aperçues.

Les trois petites s’étaient dirigées vers le jardin.

– Peut-être,pensait Camille, restait-il encore quelques fleurs oubliées ?

Hélas ! il n’y avait rien : tout était cueilli.

– C’est fait, dit enfin Madeleine ; il n’y a pas de remède. Nous tâcherons d’avoir quelques plantes nouvelles, qui fleuriront plus tard !

MARGUERITE. -Prenez tout mon argent pour en acheter, Madeleine ; j’ai quatre francs !

MADELEINE. -Merci, ma chère petite, il vaut mieux garder ton argent pour les pauvres.

MARGUERITE. – Mais si vous n’avez pas assez d’argent, Madeleine, vous prendrez le mien, n’est-cepas ?

MADELEINE. – Oui,oui, ma bonne petite, sois sans inquiétude, ne pensons plus à tout cela, et préparons notre jardin pour y replanter de nouvelles fleurs.
Les trois petites se mirent à l’ouvrage. Elles suaient à grosses gouttes toutes les trois quand Mme de Rosbourg, revenue de sa course, les rejoignit au jardin.

– Oh ! les bonnes ouvrières ! s’écria-t-elle. Voilà un jardin bien bêché ! Les fleurs y pousseront toutes seules, j’en suis sûre.

– Nous en aurons bientôt, madame, vous verrez.

– Je n’en doute pas, car le bon Dieu récompensera toujours les bonnes petites filles comme vous.

La besogne était finie ; Camille, Madeleine et Marguerite eurent soin de ranger leurs outils,et jouèrent pendant une heure dans l’herbe et dans le bois.

Alors la cloche sonna le dîner, et chacun rentra.

Le lendemain,après déjeuner, les enfants allèrent à leur petit jardin pour achever de le nettoyer.

Camille courait en avant. Le jardin lui apparut plein de fleurs mille fois plus belles et plus nombreuses que celles qui y étaient la veille.

Madeleine et Marguerite arrivèrent à leur tour, et toutes trois restèrent muettes de surprise et de joie devant ces fleurs si jolies.

Elles se précipitèrent dans le jardin, sentant une fleur, en caressant une autre,folles de joie, mais ne comprenant toujours pas comment ces fleurs avaient poussé et fleuri en une nuit.

– C’est le bon Dieu, dit Camille.

– Non, c’est plutôt la sainte Vierge, dit Madeleine.

– Je crois que ce sont nos petits anges, dit Marguerite.

Mme de Fleurville arrivait avec Mme de Rosbourg.

– Voici l’ange quia fait pousser vos fleurs, dit Mme de Fleurville en montrant Mme de Rosbourg.Votre douceur et votre bonté l’ont touchée.

Le lendemain toutes trois offrirent un bouquet composé de leurs plus belles fleurs, non seulement à Mme de Fleurville pour sa fête, mais aussi à Mme de Rosbourg,comme témoignage de leur reconnaissance.

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À SUIVRE……